Guinée : Alpha Condé devrait dire «Je ne me représente plus», estime Kofi Yamgnane

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Que pensez-vous des 3e ou des 4e mandats en Afrique de l’Ouest ? En Guinée, l’éventualité d’un 3e mandat du président Alpha Condé déchire le pays. Au Togo, le président Faure Gnassingbé vient de se faire élire pour un 4e mandat. Le Franco-Togolais Kofi Yamgnane a été, tour à tour, membre d’un gouvernement français et candidat à une présidentielle Togolaise. En 2013, il a publié Afrique, introuvable démocratie, aux éditions Dialogues. En ligne du Finistère, dans l’ouest de la France, il répond à Christophe Boisbouvier.

RFI : Comment expliquez-vous la décision du président Alpha Condé de reporter le double scrutin ?

Kofi Yamgnane : Je crois que la pression internationale sur lui était beaucoup trop forte. La Cédéao, l’Union africaine, même la France, sans compter le peuple guinéen et les partis d’opposition, tout le monde s’est opposé à cette affaire-là. Il a senti qu’il ne pouvait pas rester isolé sur la scène politique internationale, et en tout cas pas en Afrique, et donc il a reculé. Mais ce n’est pas suffisant, parce qu’ils font tout cela et reculent de quelques jours, de quelques semaines, alors que ce n’est pas ce qu’on leur demande. On leur demande de prendre le temps, de réfléchir… Moi, je comprends bien que les hommes veuillent changer de Constitution pour adapter les nouveaux textes au monde qui change. Mais si c’est pour leur propre calendrier interne, c’est-à-dire pour pouvoir se représenter indéfiniment aux élections, cela ne tient pas la route.

Alpha Condé a dit, vendredi dernier, qu’il ne voulait pas s’isoler sur la scène africaine. Pourquoi est-il si important à ses yeux d’avoir une validation de son référendum constitutionnel par la Cédéao et par l’Afrique de l’Ouest ?

Je crois que la Guinée a joué un rôle important, historique, dans le combat des Africains pour leur indépendance. Le président Sékou Touré et le président Nkrumah, au Ghana, sont les deux premiers qui y sont parvenus. Donc la Guinée est un maillon important de l’Afrique et Alpha Condé, qui n’est pas un inculte, sait tout cela. Il a besoin d’être reconnu. Justement, compte tenu de ce rôle historique de la Guinée, il a besoin que les autres chefs d’État, qui eux sont, soit de la Cédéao, soit de l’Union africaine, qui sont – eux – légitimes et légaux dans leur pays, le soutiennent, le reconnaissent. Il a besoin de cela pour pouvoir expliquer à son peuple qu’il est légitime et légal et que dans ces conditions-là il peut gouverner le pays.

Est-ce une façon de dire que le pouvoir est fragile à Conakry ?

Évidemment. Et pas qu’à Conakry, parce qu’il y en a peu qui sont légitimes. Très peu. Et donc ils savent bien que s’ils n’ont pas le soutien de leurs pairs cela peut déraper assez vite.

Que devrait faire Alpha Condé, à vos yeux ?

À mon avis, il devrait arrêter tout cela. Je trouve que son idée de faire une Constitution, si c’est pour moderniser la vie politique, le financement des partis, la liberté de constituer un parti… Tout cela, s’il peut le faire dans ce sens-là… Et dire : « Je fais cela, mais ce n’est pas pour moi, je le fais pour moderniser mon pays, je ne me représente plus ». Voilà, ce qu’il doit dire.

Le projet du troisième mandat d’Alpha Condé suscite beaucoup de réactions internationales. En revanche, le quatrième mandat de Faure Gnassingbé laisse tout le monde indifférent. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Ce que je sais – et c’est un chef d’État africain qui me l’a dit –, il m’a dit en abrégé, comme ça : « Faure, comme son père, il achète son pouvoir ». Le port de Lomé, c’est un fric fou ! Et donc, il distribue l’argent à qui il veut et il sait que ces gens-là vont le soutenir sur le plan international. Le seul qui est capable de sortir du lot et dire « non », c’est Buhari et puis… Il y en a deux : Buhari [le président du Nigeria], et Nana Akufo-Addo [le président du Ghana], qui ont effectivement tenté de trouver des solutions qu’Alpha Condé est venu torpiller, d’ailleurs, en 2018, quand ils ont tenté les médiations, parce qu’il avait effectivement son propre agenda.

Source : RFI

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