Culture: L’écrivain Thierno Dayèdio Barry sort son Roman « Le temple Maudit »

0

Votre site Guineemonde.com vous dépose ici l’intégralité de l’oeuvre. Bonne lecture

Notes de l’auteur

J’ai le cœur d’un artiste qui peint le vice dans ses reflets les moins perceptibles. J’ai du goût pour le cru, j’aime  dévorer  cru,  plutôt que d’en changer le goût  en le passant à la braise. Je  combats le vice en le peignant dans ses formes les plus originales, les plus terribles, en le dénonçant, pour  le dépouiller de  ce dont nos vertueux  l’enveloppent. Je m’en fous de la pudeur, plutôt,  telle qu’elle est  parfois utilisée pour  en voiler l’aspect hideux. Le Temple maudit est une merveille  des vices, un lieu de rencontre de tous ceux qui voudraient échapper aux rigueurs de la morale  sociale, à la laquelle bien des hommes recourent pour cacher leur vraie face. En effet,  tout se voit de ce que l’on ne veut voir que derrière le voile de la pudeur. Dans toutes les cités, il existe bien un temple maudit, un lieu malfamé  fréquenté par ceux qui sont sincères avec leur nature humaine, qu’une société, montée de prières et d’hypocrisie, condamne pourtant. Karabane est le produit d’une vie affranchie de toutes contraintes cérémoniales. Il est né de parents libres de toutes ces  morales encombrantes, dont certains se font les défenseurs. Karabane n’a pas que des vices, il a aussi des vertus, il est philanthrope,  généreux et sensible à la condition des  démunis. Il partage jusqu’à ses croyances fondées sur le Vin, La Drogue et le Sexe, avec ses disciples. Bien des gens vivent comme Karabane, sans jamais oser  partager le  sens caché de ce qui représente pour eux le  bien-être. L’important serait que ma progéniture sache faire un discernement entre ce contre lequel je la mets en garde et  ce que je peins d’une  couleur  vive et troublante.  Le vice ne s’enseigne pas, il est  une fleur qui s’épanouit  sur un tas d’ordures, aussi vite que la vertu croît dans un cœur pur.

Les ténèbres d’une nuit  qui s’annonçait fraîche,  finirent par engloutir, avec voracité, les dernières lueurs d’une journée chaude.  La petite ville de Kircha, déjà, commençait à frémir  dans une obscurité devenue légendaire, à cause de la fréquence des coupures d’électricité ayant, depuis  quelques années,  soumis la localité à ce régime rigoureux. A Belafoulane,  un quartier particulièrement animé, c’était  une ruée incroyable d’hommes et de femmes vers cet édifice qui dominait tous les autres. Un temple ! Le simple passant n’aurait eu aucune peine à l’identifier, tant  il  présente cette apparence digne et respectable d’un véritable lieu de culte. C’est là qu’une catégorie de croyants se rendait, chaque jour,  dès que tombait  la nuit.  Le lieu avait bien un nom :« Sodome » et les fidèles adorateurs de Phallus- la divinité dont la statue se dressait fièrement, à la verticale, dans la vaste cour du domaine abritant le temple- ne manquaient jamais à leur devoir sacré. La particularité de cet endroit était  que, chaque jour, de nouveaux venus  s’y rendaient, dans la plus grande discrétion. Bien des gens fréquentaient  Sodome, mais très peu en  perçaient  le mystère. Les non-initiés étaient  accueillis dans les salles ordinaires, alors que  les fidèles du Phallus, se dirigeaient dans  l’arrière-cour où se trouvait le temple.Juste à l’entrée du domaine, un bar-restaurant bien tenu  ouvrait ses portes 7j/7. Ce qui dissimulait les pratiques qui  sont menées  au temple.Trois choses y étaient  à l’honneur. « Le Vin, la Drogue et le Sexe » C’était d’ailleurs, la devise de cette nouvelle croyance que le maître des lieux, un diaspo, après plus de  trente années d’exil qui l’avait  conduit à traîner sa bosse un peu  partout dans le monde, avait  introduite dans son pays, dès son retour. Karabane, c’est le nom de ce chef spirituel rentré au bercail avec de gros moyens financiers tirés du commerce   de produits suspects, pour s’acheter un vaste domaine comptant  une vingtaine de bâtiments bien construits et destinés à divers usages. Dans l’arrière-cour, il avait fait ériger un magnifique  temple pour ses disciples.  Il y avait aussi, dans ce vaste domaine, des chambres de passe, des espaces  de détente, des salles de bain, des magasins de stockage de produits divers  dont une gamme variée pour le charnel, sa principale motivation. Karabane était  un célibataire endurci qui assimilait  la femme à une jarre d’eau. Il se disait  n’avoir  pas trouvé  nécessaire de s’en offrir une.Cependant, pour plaisanter,  il se disait prêt à  boire partout où il le désirerait, aussi bien chez le voisin que chez le cousin, si l’occasion se présentait.L’homme  s’était  forgé  une drôle de philosophie  qu’il appelait ‘’le retour aux  sources pures de la nature humaine.’’ Tout  jeune, il avait pris la route de l’aventure, dès que son père, accusé de complot contre le pouvoir, fut arrêté et jeté en prison où il mourut de pneumonie. Sa mère, une prostituée, morte,  quelques années plus tard,  avait rencontré son père dans un cabaret du coin : « Le poulet rôti ».Ce refuge malfamé était construit à l’emplacement même où  Karabane avait  érigé son temple. Un rêve réalisé. Ce rêve, il l’avait toujours eu à l’esprit,  comme un défi à relever.

C’était, pour cet homme, la seule façon de rendre hommage à ses parents. A défaut de ne pouvoir  leur élever un cénotaphe. Ce qui, d’ailleurs, aurait été pour lui un geste sans grand éclat. Voilà  pourquoi, il choisira de célébrer un culte au Phallus, l’organe reproducteur qui symbolisait, pour lui,  la vie dans sa nouvelle croyance. Le retour aux sources pures, sans être totalement  compris de tous ses  adeptes, répondait, cependant,  aux caprices  de ces nombreux  laissés pour compte, ces friands du charnel, du vin et de la drogue qui y  trouvaient leur compte. Karabane était  toujours nu sous sa soutane noire, c’était la toute première recommandation suivie par ses adeptes, avant de franchir l’une des sept  portes du temple. L’on devait, en effet, se  débarrasser de son caleçon, ce que le chef spirituel appelait ‘’libérer phallus’’  quand il s’agit des hommes et ‘’ouvrir les vannes’’ pour ce qui est  des femmes. Il fallait  aussi se défaire de ses chaussures, de sa coiffure, avoir le corps propre, se raser  les poils du pubis et des aisselles. Se parfumer l’entre-fesses et toutes les parties intimes pouvant dégager  des odeurs suspectes.Le temple pouvait  contenir  plusieurs  centaines de  disciples, tous sexes confondus.

A l’intérieur, il y avait  la chaire du prêtre, tout  au fond, faite d’un assemblage de pièces de  bois  surmonté d’un autel pour  recevoir  les offrandes rituelles. Tous les samedis soir, l’on y versait  du sang d’un bélier noir,  immolé  dans la cour du grand domaine. Il n’y avait pas de places assises pour les fidèles.  Sur les murs, il était peint des scènes érotiques. Parmi les disciples de Karabane, l’on comptait des femmes , des filles  les  plus nombreuses  et les plus assidues – des hommes de tous âges et de toutes professions. Même des hauts cadres de l’Etat fréquentaient le temple,  pour se remettre de leur stress. Il n’y avait  pas que le culte du Sexe  à l’honneur à Sodome, il  yavait  aussi des salons de négoces où des vendeurs de stupéfiants et leur clientèle se rencontraient pour parler affaires. Le tout, sous la supervision d’un représentant de Karabane, car, la maison prélevait  des royalties sur tout ce qui s’y tramait. Un salon était réservé aux contrefacteurs de billets de banques et autres vendeurs d’illusions. C’était  un monde à part. Karabane était un homme de haute stature. Il portait une  barbe bien fleurie et était  drôlement humain dans ses relations. Il distribuait de l’argent aux plus nécessiteux de ses disciples. En assistait  d’autres, de façon permanente. Il aimait, à chaque fois qu’une femme le trouvait  seul à son bureau, pour un quelconque service, lui demander d’abord de lui sucer le phallus. C’était un drôle de plaisir pour lui!

L’une de ses disciples confiait  un jour à sa camarade : « Je viens du bureau du maître, il m’a demandé d’abord de lui téter le poisseux »

« Un tronc d’arbre,  je suppose ? » lui  demanda  curieusementsa condisciple

« Non, une queue de cochon ! Un petit robinet rempli de sèvequi  coule à la moindre secousse. » Elles éclatèrent de rire.

Les fleurs du vice

La source qui avait servi d’inspiration à Karabane dans la conception de sa nouvelle croyance était  complexe. C’est, en effet, à la mort de son père en prison et quelques années plus tard,  celle de la pauvre  mère qui  l’avait élevé  jusque-là, que le jeune orphelin, alors âgé d’environ 15 ans, fut adoptépar père Rousset, un généreux homme d’Eglise qui s’était  fait une admirable vocation : secourir les enfants  démunis en quête de refuge. Il inscrivit Karabane à l’Ecole de la mission catholique, pour qu’il y poursuivît ses études, afin d’éviter que celui-ci ne se fût  récupéré  par la rue. Trois années plus tard, Père Rousset demanda et obtint une affectation dans la belle Cité de Carcassonne dont  il était originaire.  Alors, il décida de rentrer au pays avec Karabane, celui-ci étant devenu  son fils adoptif. Ce qu’il avait  pu obtenir de ses chefs hiérarchiques. Il en informa  les autorités de Belafoulane, les proches parents du jeune Kirchais, enfin, tous ceux qui étaient concernés par ce voyage. Karabane qui en affichait, déjà, une tête de paon dans la ville, voyait  sa vie se transformer. Car, à l’époque, partir pour la France était synonyme de réussite. Le blanc était perçu comme un rédempteur, un ange qui sauve de la perdition. Père Rousset, qui portait fièrement une grande barbe de prophète, était jugé bon et vertueux, du moins par ceux qui le connaissaient à peine.Même  si l’on ignorait la vertu de ce qu’il cachait sous la soutane, Père Rousset  était réputé être le bon Samaritain dont les services  n’avaient jamais fait défaut. Mais voyager avec un fils du terroir était vraiment une première dans la ville.

Un mois plus tard, Karabane fit le voyage en compagnie de son bienfaiteur, le généreux père Rousset. De Paris, ils regagnèrent Carcassonne,  au  petit soir, où ils furent reçus à l’Archevêché de la Cité, sans trop de cérémonie. Leurs bagages furent rangés dans un appartement déjà bien aménagé où tout était mis au point : literie, repas et autres besoins, par le personnel domestique affecté aux services. Après la salle de bain, Père Rousset et Karabane regagnèrent la table à manger et se régalèrent copieusement. C’était un bref séjour pour les formalités d’usage avec les autorités de l’Archevêché, en attendant de regagner le lieu d’affection, quelque part dans un arrondissement de la Plaine où Père Rousset devait diriger une petite Eglise.

Durant le petit séjour  passé dans la célèbre Cité de Carcassonne, Kalabane consacrait  le clair de son temps à admirer cette forteresse du Moyen-âge qui gardait  toujours son charme d’antan. Trois jours plus tard, Père Rousset et son protégé furent  reçus dans le nouveau lieu d’affectation  par le personnel de la paroisse. Ce fut un moment de joie partagé, d’échanges et de compliments, le tout baigné dans une cérémonie pleine de sagesse et de dignité.

Contre toute attente, Père Rousset décida de partager  sa vie  avec  son fils adoptif dans la luxueuse résidence qui lui fut réservée  pour ses prières et ses méditations intimes. Cette résidence s’ouvrait  sur une arrière-cour envahie de plantes à fleurs diverses. Un endroit  romantique.

Il arrivait, précisément  que tous les samedis soir, Père Rousset réveillât le jeune Karabane, aux heures tardives, pour lui faire réciter une longue prière  censée  conjurer le mal et chasser le diable de la maison. Mais, à la fin de cette  prière assez particulière, Karabane était surpris de voir son maître se défaire de sa soutane, s’enduire les couilles de vaseline et se livrer à une longue masturbation accompagnée de délire, parfois de gémissements. A la fin de la séance, pendant que son sperme giclait sur un tapis noir étalé pour le recueillir, Père Rousset murmurait : « Sors de moi Satan !  Libère mon corps de ce venin qui me tourmente ! »

Puis, sans piper mot au jeune Karabane, réduit en spectateur curieux et troublé,  Père Rousset  pliait le tapis noir aspergé de liquide blanchâtre et regagnait la salle de bain.  Il en revenait, vêtu d’une soutane blanche, pour se livrer à des confessions interminables jusqu’au petit matin. Le dimanche, c’était la messe. Peut-être que, père Rousset, qui était un pédophile caché, avait-il pensé qu’il fallait se débarrasser de ses  péchés, de cette façon-là, dès le samedi soir, avant de se présenter, tout purifié,  devant les fidèles ?

Quelques mois plus tard, c’était  à Kalabane que Père Rousset confiait le soin de le masturber, pour l’aider à se débarrasser de son mal. A la longue, comme les mauvaises habitudes sont vite assimilées,  Karabane s’appliquait la pratique, telle qu’il l’avait apprise de son maître, pour se débarrasser du venin de la perversion qui lui était devenu un mal à conjurer.

C’est à la mort de père Rousset que Karabane prit le chemin de l’aventure à travers l’Europe. Ses nombreuses relations suspectes lui permirent d’accéder aux patrons de la poudre blanche.

Il en tira fortune, pour mieux soutenir ses ambitions. Il était animé de la volonté de se forger une croyance qui magnifie le vice,  sous toutes ses formes. Son retour au bercail, lui en offrit et l’espace et les disciples.

Les fondements du ‘’retour aux sources pures’’

Le jeune Karabane connut une enfance difficile, perturbée autant par une crise affective  que par les déviations psychiques  d’un père adoptif assez singulier qui lui apporta tout sauf ce qu’il lui manquait d’affection. Né  de parents  pervertis, libres dans leur vie et  qui s’étaient croisés au gré du hasard dans un lieu malfamé, Karabane fut vite  sevré  de ce dont il avait le plus besoin : un milieu familial, au sens véritable de l’expression. Son père, bien qu’un habitué des lieux,  devait être d’une certaine importance, du moins sur le plan politique, parce qu’il finira ses jours  en prison, accusé de complot par le  pouvoir en place. Karabane fut  récupéré, à la mort de sa mère,  par Père Rousset, un  généreux  prêcheur d’église. L’on ignore  encore à quoi aura servi cette adoption, puisque l’on ne saura jamais quelles études Karabane  a faites, quelles sont ses qualifications, ses compétences intellectuelles. Ne pouvait-il pas, à la mort de son père adoptif, opter pour la soutane ? Avait-il été plutôt déçu de ce que cachait cette apparence trompeuse  du généreux  Père Rousset qui n’était, en réalité  qu’une espèce rarissime ? Même si, de plus en plus, des prêtres pédophiles sont découverts et désavoués ?  Karabane pensait-il  que tous les enseignements reçus de son maître étaient fondés sur le besoin de magnifier le Sexe et lui donner une place de choix dans la vie humaine ? En tout cas, en ce Père Rousset, il retrouvait ses parents, tout au moins, cette philosophie qui privilégie la liberté de disposer de soi et ne rechercher le bien-être que dans la libre jouissance de tous ses sens. Karabane en  fit une envoûtante croyance pour ses adeptes.

D’ailleurs, dans un long prêche à l’adresse de  ses adeptes, il avait largement expliqué ce qui, dans sa croyance reste fondamental.

« … Ce qui reste fondamental, c’est de ne pas souiller  ce qu’il y a de divin en nous : l’âme, entendez le cœur. L’ivrogne peut-être généreux, le gueux peut- être bon, juste, reconnaissant. Que me reproche-t-on ? De jouir de mon corps,  de le souiller, d’ériger un temple pour magnifier le Sexe, glorifier  l’amour ? Quoi d’autre, pourrait-on me reprocher ? Ne suis-je pas juste,  généreux, reconnaissant, ouvert au monde, compatissant ? Je  me refuse d’être un sépulcre blanchi, je suis sale du dehors mais propre du dedans ? J’ai un cœur pur dans un corps qui m’a été donné pour  le salir ? C’est la partie satanique de mon être.  La partie qui va mourir, pourrir, se décomposer et redevenir poussière. C’est l’âme qui est le divin, elle doit rester  pure, vertueuse.  Les sources pures, fraîches et sereines sont cachées dans les buissons les plus obscurs. Notre croyance tire son essence de la pureté de l’âme.  Ceux qui prêchent  la pureté du corps ont-ils seulement conscience de ce qu’ils cachent à ceux qui les écoutent, quand, mariés à plus de deux épouses, ils tentent de cacher  leurs vices derrière une apparence de sépulcre blanchi ? Ce qui est destiné à être sali, doit l’être et ce qui  doit rester  propre, le doit. Je ne fais pas d’amalgame. Jouissez de la vie, dégustez-la,  en usant de tous vos sens. Buvez et baisez,  mais que votre cœur garde sa pureté. Dans tous les cas, la mort séparera le bon grain de l’ivraie. »

Karabane et le réseau anonyme

En plus de ses activités ordinaires, Karabane était chef d’une ramification d’un vaste  réseau d’écoulement  de cocaïne basé en Colombie.

Il  était  parvenu à faire de son pays la plaque tournante de cette activité. Un lieu de réception et d’écoulement de ce produit vers les pays voisins. Kara avait des partenaires, aussi bien dans l’entourage immédiat du pouvoir, que dans l’armée et la police. L’arrivage de la marchandise donnait lieu à tout un mouvement d’ensemble dans la ville. Parfois,  le transport de ces produits  se faisait par camion militaire ou par hélicoptère, sous forte escorte. Des pistes d’atterrissage étaient aménagées à cet effet, en haute banlieue. Karabane avait  tiré de cette activité, une grande fortune. Le pouvoir de l’argent, il l’avait eu et n’hésitait  pas à braver tous les interdits. S’il avait eu des ambitions politiques, il aurait facilement accéder au pouvoir.

Mais Karabane avait  un tout autre rêve, celui de régner  sur un monde perverti et libre, un monde  baudelairien où le vice est à l’honneur. Un monde affranchi de toutes les contraintes sournoises érigées en code de conduite auquel une morale tout aussi absurde avait soumis la conscience humaine.

C’est, du moins,  l’idée du chef spirituel du Phallus. Entre autres pensées sublimes qu’il avait, Kara soutenait  qu’il n’ya aucun plaisir à la vie, sans le Vin, la Drogue et le Sexe. «  Passez-vous en,  et vousne serez plus des hommes, mais des anges» avait-il affirmé un jour. La pauvreté, de son point de vue, est une malédiction que l’homme s’impose, à travers une démission coupable devant son droit à l’enrichissement par tous les moyens.Kara  affirmait : « Le pauvre qui vole pour s’enrichir, n’est pas plus coupable que le vendeur d’illusions. La vraie richesse c’est cette liberté dont on jouit, en usant des choses qui ne coûtent  rien : le Vin, la drogue et le sexe, qui se partagent partout. L’argent, on le distribue ou on s’en torche. Il ne sert qu’à ça, ceux  qui en font un Dieu lui vouent un mauvais culte. » Ces enseignements sont, entre autres, sacrés pour le retour aux sources pures. Le droit à la vie, pense Kara, c’est la jouissance libre de ses libertés naturelles : «  Baisez où vous voulez, chiez où vous voulez ! Celui qui vous l’interdit est un trouble-fête,  il doit rendre des comptes à la nature humaine. La loi, de l’avis du chef spirituel du retour aux sources pures, est une fantaisie érigée par ceux qui sont les premiers à la violer. La seule différence entre le chef et nous, avait-il affirmé un jour à ses disciples,est que ce qui lui est permis nous est interdit. L’évasion, voilà l’ouverture libre à l’esprit. Que l’homme se forge selon son idéal, mais qu’il n’oublie point que la jouissance pure est dans  trois choses : le Vin, la drogue et le Sexe. Tout le reste est soumission aveugle à la société des illusionnistes. Que ceux qui pensent le contraire choisissent  la castration». Ce sont là quelques idées fondamentales qui servent d’enseignements au temple de Karabane. Le chef spirituel les prêchait  chaque jour, sans relâche et son assemblée s’en gavait, les yeux fermés.

La nuit des intimités

C’était  une nuit spéciale que Karabane consacrait à sa compagne qu’il appelait affectueusement ma poule. La compagne de Karabane avait vraiment tout l’air d’une grosse poule charnue au derrière légèrement  dressé, comme  pour recevoir un coup  de verge bien réglé. Elle plaisait bien à son maître dont elle comprenait  les désirs ardents. Nous étions dimanche, un jour de repos pour le maître de cérémonie et de prière spéciale pour confesser ses péchés dans un jargon peu ordinaire.Comme à leurs  habitudes, tous les deux, en la circonstance, étaient nus. Karabane,  de toute sa haute taille, se tenait droit, face à la statue géante du Phallus dressée au milieu du grand salon de son vaste appartement, à ses côtés, les mains luisantes d’un lubrifiant parfumé, se tenait sa compagne toujours prête à servir.Karabane murmurait, dans son jargon, des prières assez confuses pour le profane. Sa compagne, elle, répétait, à n’en pas finir un refrain à voix sourde. Puis, subitement, quand Karabane courba l’échine, laissant entrouvert son gros derrière  de buffle, sa compagne lui passa les mains entre la fente et y appliqua du lubrifiant, comme pour en  huiler la paroi et recharger la batterie. Ensuite, Karabane se redressa et fit face à maîtresse qui commença alors à le masturber dans un gémissement  plutôt mélancolique. Après cette séance qui dura quelques minutes, la compagne tourna le dos et se courba, les cuisses ouvertes, pour libérer les vannes.  Karabane passa derrière et lui  enfonça  la pointe  dans la chair. Cette nuit spéciale, choisie dans le mois, était la seule occasion pour Karabane de passer à l’acte sexuel véritable avec sa compagne. L’embryon dont il était doté, n’était en réalité qu’une apparence, c’était un bolide en miniature qui se savait baliser son chemin. Des cris et des gémissements entremêlés de la poule et le reniflement du gros  buffle,  rappelaient un accrochage de géants.

 

Le culte du samedi soir

Il était 20h et le temple avait déjà fait son plein. C’est  la messe du samedi soir. Les fidèles étaient là, debout, devant la statue géante du Phallus dressée à la verticale, sur une grande table placée en face de la chaire du maître des cérémonies. Le spirituel en était debout, face à l’assemblée des fidèles. De petites lampes à huile fixées sur des supports métalliques  diffusaient une lumière sournoise qui permettait, à peine, d’identifier les  disciples observant un silence de cimetière. Au signal de Karabane, l’assemblée entonna en chœur l’hymne au Phallus, une chanson sourde et grave, parfois trahie par des voix féminines perçantes et gémissantes. Les hommes étaient vêtus d’un poncho  blanc, léger, confectionné dans un tissu transparent, le phallus  libéré. Quant aux femmes, elles avaient le torse nu et ne portaient qu’un pagne noir et léger autour des hanches. Les vannes libérées. Le chef Spirituel était sanglé dans une soutane noire qui permettait, malgré la pénombre, d’évaluer sa charge virile. Pas grand-chose !

Au second signal, un coup de poing sur l’autel et les fidèles se débarrassèrent de leurs vêtements. Karabane en fit autant et plongea dans son prêche : » Libérez phallus ! Ouvrez les vannes ! Que le vaisseau glisse sur l’océan en toute liberté. Que la navette passe librement entre les fils de trame ! Cette vie a été donnée pour que vous en jouissiez librement. Jouissez-en librement. Faites l’amour et vous oublierez vos peines et vos haines, vous briserez les chaines des traditions aveugles qui vous retiennent. Vous oublierez vos différences, vos divergences absurdes. Entremêlez-vous !Célébrons ensemble phallus, à la mémoire de Sodome.

A ces mots des couples se constituèrent. Les hommes prirent les femmes par les épaules et celles-ci les tinrent par les hanches ? Une danse érotique se déclencha. Karabane fut vite rejoint par sa favorite qui s’occupa de ses charges, avec dextérité. Les pas de danse étaient accompagnés de gémissements sourds et de cris de délivrance. Quelques instants plus tard, une forte odeur de sperme frais mélangée à celle, plus piquante, de parfums divers, embauma l’air. Le préservatif était proscrit et personne ne pouvait en user, de peur de  déroger  aux instructions du chef spirituel.

Cette scène démoniaque ne prit fin qu’au petit matin. Après le bain rituel qui constituait à se laver le corps sans savon, les fidèles passaient à la table à manger pour un petit déjeuner copieux, au frais du Chef.

La Fête des couilles

C’était à l’honneur du père Rousset que Karabane avait choisi la nuit du 12 décembre de tous les ans, pour fêter son maître, sous le signe de ‘’la Fête de couilles’’.

Dès la veille, les préparatifs  allaient bon train, après une longue prière officiée par le spirituel. Le samedi, aux environs de 22h  toute l’assemblée s’était réunie au temple, autour de la statue de Phallus, au pied de laquelle  était posé un grand vasecontenant une quantité importante d’un lubrifiant parfumé. Le maître de cérémonie, nu comme un ver, se tint debout à sa chaire, face à ses disciples  tout nus. Au son d’une musique légère distillée dans la salle par le truchement de quatre amplificateurs en miniature incrustés dans le plafond de bois, les disciples exécutèrent des pas de danse entrecoupés de mouvements de hanches, tantôt secs, tantôt mous. Cette première séance  s’exécutait de façon circulaire. Dans un second temps, Karabane rejoignit  le groupe et chacun s’agrippa à sa chacune. La favorite du maître de cérémonie, lança la couleur, elle plongea la main dans le lubrifiant frais et en enduisit les couilles volumineuses de son partenaire. La partie se termina par une séance de masturbation. En quelques heures,  le tapis noir qui couvrait le plancher  fut aspergé de sperme  qui dégoulinait des phallus fatigués à force de se faire baver.  Les femmes, à leur tour,  furent  servies, ou avec les doigts, ou avec les phallus qui en avaient encore la force. La scène se termina dans les salles de bain. Une longue prière de confessions  boucla la cérémonie. Des cadeaux furent distribués par Karabane à tous ses fidèles.

Karabane devant le Conseil des cultes

Ce conseil était composé de chefs spirituels de l’islam, du christianisme et de chefs de cultes traditionnels. Il était de coutume que tout individu menant des activités susceptibles de nuire à la pudeur  et aux cultes déjà connus dans la localité, soit interpellé et traduit devant ce Conseil, pour  répondre de ce dont il est accusé.  C’est ainsi que le chef spirituel du Retour aux sources pures s’est présenté devant le conseil.

Quand Karabane entra dans la salle du Conseil, il lui fut indiqué de prendre place, dans un fauteuil, devant les dignitaires réunis. A l’arrière-plan, le public était massé, curieux d’en savoir plus sur la nouvelle croyance introduite dans la localité. Le président du Conseil, selon la tradition, prit la parole, non sans préciser à l’invité, les raisons de sa présence devant le Conseil.

« …Je vous exprime les remerciements du Conseil pour l’honneur que vous lui avez fait, en acceptant de vous présenter devant lui. Ceci dit, monsieur Karabane, permettez-moi de vous dire que votre retour au pays que vous connaissez mal, pour avoir passé plusieurs années, je ne sais où, n’a pas été un bonheur pour  la petite population de Kircha. Nous ignorons quel culte vous  pratiquez et quel Dieu vous adorez dans votre temple. Sauf quenous avons appris que c’est un véritable bordel que vous avez ouvert,  pour  pervertir les citoyens. Des hommes et des femmes, selon des indiscrétions, seraient vos disciples, des pervertis auxquels vous ouvrez grandement les portes de l’enfer. C’est pour toutes  ces raisons et bien d’autres, parce que, de surcroît, vous êtes un narcotrafiquant dangereux, que le Conseil vous demande de fermer votre temple maudit. Faute de quoi nous prierons, tous ensemble, pour que la colère de Dieu descende sur vous et vos adeptes… Nous vous savons d’avance entêté, mécréant et adepte aveugle du Satan. Nous vous lançons un défi. Vous fermez vos magasins de merdre et vous reprenez le chemin de l’aventure ou alors, vous n’aurez plus jamais de paix avec le Conseil religieux de la localité.»

Quand la parole fut donnée à Karabane, pour qu’il réponde des accusations dont il fait l’objet, il se leva de son fauteuil et s’arrêta de toute sa stature imposante. Dans un calme surprenant, il remercia le Conseil et, sur un tout autre ton, il vida  son trop plein : « Mr le président du Conseil, combien d’épouses avez-vous sous votre toit? Vous en avez quatre. Que faîtes-vous avec quatre épouses, parvenez-vous à les satisfaire toutes ? Je sais que vous êtes un étalon d’une espèce en voie de disparition. Mon temple serait content de vous  accueillir parmi ses adeptes, parce que déjà, je vous informe, de l’adhésion, depuis quelques mois, de deux vos courageuses épouses au temple, elles sont, déjà,  de mes adeptes les plus fidèles. Mon mal, C’est d’avoir refusé de vivre en hypocrite parmi vous. J’ai  érigé mon temple pour préserver les citoyens de toutes ces illusions derrière lesquelles vous et ceux qui vous entourent trompez les gens.

Vous prêchez le bien et vous  vivez du mal. Vous êtes des ordures. Vous trahissez les livres révélés en  y prenant ce qui vous arrange.  Bande de voyous déguisés en prêcheurs et en défenseurs des cultes que vous prostituez dans votre vie quotidienne. Je suis chez moi à Kircha et personne ne pourra m’interdire d’y vivre avec mes opinions et mes croyances. Adieu ! » Karabane se retira de la salle, suivi de sa garde rapprochée. Le Conseil, frustré par les injures du chef spirituel du phallus, avant  de se retirer, invoqua  la colère de Dieu sur Le temple de Karabane.

L’offrande rouge

Karabane,  se disant possédé par un Esprit qui lui rendait visite, une fois tous les trois ans et cela, depuis  son retour au pays, s’était confié à deux de ses disciples. Il leur fit part de l’offrande qu’il devait faire à cet Esprit, pour  que sa croyance soit raffermie. En effet, cette offrande, il l’avait déjà faite, deux fois, aidé de ses deux confidents. Il devait  arroser du son sang d’un albinos fraîchement abattu,  la statue de phallus gardée soigneusement dans une maison sacrée, tenue toujours  fermée. Depuis une semaine, l’Esprit se serait présenté à Kalabane qui n’avait pas manqué d’en informer ses deux  complices. Et depuis trois jours, les deux disciples sillonnaient la ville de bout en bout, à la recherche du ‘’gibier’’, comme ils le surnommaient, pour ne pas attirer l’attention de ceux qui trouveraient leurs sorties trop  fréquentes, ces derniers temps. Un jour, au petit soir, ils tombèrent sur un jeune albinos mendiant,  pressé de rentrer chez lui, pour apporter à ses parents la petite recette de la journée.  A bord de leur voiture, ils interpellèrent le jeune mendiant, en lui tendant un billet de dix mille francs. « Tiens, viens prendre ! » A peine le jeune albinos sortit la main pour prendre  le billet, qu’il fut tiré et balancé au fond de la voiture. Il fut assommé d’un coup de bâton, emballé dans un sac et coincé sous le siège de la voiture,comme un colis. Arrivés dans l’arrière-cour du grand domaine, les disciples débarquèrent le colis et le portèrent  jusqu’à  la Case noire. C’est là que le jeune albinos fut immolé et vidé de son sang avec lequel l’idole de Karabane fut  arrosée. Le corps de la victime fut jeté dans une fosse aménagée  et vite refermée. Après l’offrande rouge, Karabane et ses deux disciples plongèrent dans une longue prière, pour conjurer le péché. Comme ils le pensaient.Combien de jeunes albinos devraient-ils être  liquidés  de cette façon cruelle ? Bien des malfaiteurs, hommes d’Etat, riches et autres hommes d’affaires  recourent au sacrifice rituel d’albinos, se convainquant du fait que cela leur permettrait d’atteindre  tous leurs buts. Karabane étaient de ces  criminels qui restent pourtant intouchables, grâce au pouvoir de leur autorité ou de leur fortune.

Le prêche rituel  au Temple

Une fois l’an, il était de coutume que le chef spirituel rencontre, dans la salle des prières du temple, l’ensemble de ses disciples pour un prêche  au cours duquel, il devait expliquer les principes  fondamentaux de leur croyance. Une occasion pour les fidèles de poser des questions et surtout de mieux s’imprégner de leur nouvelle religion. Avec les cinq cents disciples, tous sexes confondus, tous présents, la salle fit son comble. Ce jour-là, exceptionnellement, c’est sur des banquettes que les fidèles prirent place, face au maître des cérémonies, drapé dans une longue gandoura de tissu léger  qui ne cachait rien de ses intimités. Les disciples étaient,aux-aussi, vêtus tous de vêtements légers mais de couleur rouge. Après un long silence, Karabane prit la parole, de sa voix grave, il ouvrit la cérémonie en ces termes : » Je vous remercie de votre présence effective à notre cérémonie rituelle. Pour ceux d’entre nous qui sont nouveaux, je ferai une mise au point  sur ce qu’est notre religion, son fondement, ses avantages, ses objectifs, la place qu’elle occupe dans notre vie. Il exposa sa vue avec force conviction : « Le monde se désagrège, du fait de trop de divergences confessionnelles. Ceux qui se disent de la même religion s’entre- tuent ou se font exploser comme des baudruches pourries, en entraînant dans leur mort des milliers d’innocents. Des illuminés dressés comme des démons pour détruire l’humanité. Ailleurs, des prêcheurs égarés, se réclamant d’une ascendance prophétique, haranguent  des  foules d’imbéciles qui les vénèrent. Ce qu’il y a de vrai dans toutes ces folies, c’est le manque d’amour dans le cœur des hommes de notre siècle. Si l’amour était partagé, comme l’air que nous respirons, par la grâce du Créateur, le monde serait un paradis. C’est contre ces troubles et ces errements que notre religion, fondée sur le retour aux sources pures, répond, aujourd’hui, aux aspirations profondes de tous ceux qui vivent le calvaire d’un monde qui court à sa perte. Nous semons l’amour pour récolter l’amour. Le vin le sexe et la drogue, c’est notre devise. C’est le socle de la trinité qui libère l’homme de toutes ces contraintes bricolées par nos sociétés, pour nous exclure du bien-être. Ces trois voies mènent au bonheur. Le Vin, le Sexe et la Drogue. Nous buvons, nous baisons et nous nous droguons. C’est notre liberté,nul ne saurait nous la confisquer. Notre crime, aux yeux de ceux qui érigent une morale sociale fondée sur l’hypocrisie, c’est de faire à vue ce qu’ils font en cachette. Voilà, en gros, défini le fondement de notre croyance. Avez-vous des questions ? » Une belle demoiselle nouvellement convertie se leva. « L’on nous parle de paradis et d’enfer, qu’est-ce notre croyance y pense ? »

« Madame ! Le paradis et l’enfer sont en chacun de nous. Nulle part ailleurs. Il suffit de choisir lequel s’offrir. Si tu te prives de ce qui  te fait oublier l’enfer, alors il faut accepter de souffrir. Les voies vous sont données.A l’au-delà, chacun sera comptable de ce qu’il aura fait de ses organes. L’important c’est de ne point amasser  de péchés sur autrui. Le bonheur, ce n’est certes pas la richesse, j’ai vu des hommes fortunés pleurer devant les portes des prostituées. Des riches gémir  dans des maquis, auprès des garces, où ils vident leur santé et leur agent. La recette, Madame, c’est dans le Vin, le Sexe et la Drogue, nulle part ailleurs. Personne d’autren’a de questions à poser ? » Comme personne ne se manifesta, le chef spirituel demanda une séance érotique, pour clore la cérémonie. Les soutanes furent enlevées, et chacun s’accrocha à celle qui le comprenait le mieux. Bientôt, des odeurs de parfums mêlées à celles du sperme frais embaumèrent  l’air.

Menace sur le temple

Deux mois plus, il fut constaté des absences répétées de nombreux disciples, pour raison de santé, avait-on rapporté au chef spirituel qui ne manquait pas d’exprimer sa compassion et ses  inquiétudes. Parfois, ce sont des nouvelles de décès de fidèles qui étaient rapportées à ceux qui restaient de cette assemblée.

Karabane, devant cette nouvelle situation,  prit rendez-vous avec le Directeur de l’hôpital chargé des maladies infectieuses pour consultations et examens de ses disciples. C’est ainsi  qu’un jour, tous les fidèles adorateurs de Phallus se présentèrent à l’hôpital, pour un bilan général de leur état de santé.

Des examens révélèrent que tous étaient porteurs de VIH. Les résultats furent communiqués, sous pli fermé, à Karabane qui en informa son assemblée. Ce fut une consternation générale. Des pleurs et  des lamentations fusaient de partout. Les plus envoûtés, qui croyaient toujours aux prières de Karabane, lui  demandèrent de prier pour eux. Le Chef spirituel parvint, tout au moins, à leur assurer une prise en charge par l’hôpital. Un jour, il s’y rendit,  lui-même, pour se soumettre au test de dépistage. Le résultat était négatif. Ce fut un ouf de soulagement et Karabane en remercia ses divinités.

Toutefois, sans en informer ses disciples, il quitta le pays, pour une destination que seuls ses amis proches savaient, laissant ses disciples se débattre avec la punition divine.

De nombreux morts furent enregistrés, après son départ du pays. Le temple fut, entre temps fermé et les fidèles qui venaient souvent rôder dans les environs, juste pour prendre les dernières nouvelles de leur Chef spirituel,se voyaient  refoulés par les gardiens des lieux  en rage.

Le Samedi  noir

Ce samedi aurait pu compter parmi les meilleurs jours, depuis une vingtaine d’années. Le nouveau premier ministre, nommé à la tête du gouvernement, il y a seulement quelques mois, était parvenu à trouver une solution au problème d’électricité dont souffrait le pays. Ce samedi, ce fut le tout premier essai, la toute première desserte électrique dans la ville de Kircha. Le vaste domaine de Karabane qui n’était alimenté, en partie, que par un groupe électrogène, était  illuminésous les nombreuses ampoules qui ornaient les murs du temple. Cependant, depuis le petit soir, un vent violent   avait annoncé une tornade sur  la ville. Les plus avertis avaient rejoint leurs domiciles, pour s’éviter des surprises. Les traînards et les noctambules, quant à eux, contemplaient  toujours  les rues  constellées.

Soudain, un éclair déchira le ciel, non sans provoquer  la peur  sur la ville.

Ce premier avertissement fut suivi d’une grande tornade. D’autres éclairs émaillèrent le ciel  et la foudre descendit droit sur le temple maudit. Un grand incendie fut provoqué. Tout le vaste domaine s’embrasa. L’ampleur des flammes était telle que seuls  quelques curieux sortirent de leurs demeures pour assister, impuissants, à la destruction de ce lieu malfamé que bien des gens,  attachés à la morale, avaient condamné,  sans pouvoir l’exprimer.

Des agents  de la protection civile, arrivés tardivement sur les lieux, comme c’est toujours le cas, ne purent  que constater les dégâts. Bilan ? Tout le domaine ravagé par les flammes et trois gardiens brûlés dans les feux. Ce fut, au lendemain de la catastrophe, moins une émotion qu’une pure satisfaction pour  toute la ville. Le temple de Karabane, situé entre  une Mosquée, à l’Est et une Eglise, à l’Ouest, était devenu,  plutôt,  le sanctuaire des démons. Le lieu de la perversion qui  aura fait dévier du chemin, bien de ces hommes pour lesquels,  la  pudeur  n’avait plus de sens. Où était Karabane, c’est la question que se posaient des citoyens de la petite ville. D’aucuns auraient souhaité qu’il fût du nombre des victimes de l’incendie qui ravagea son domaine. Point de réponse. Ses plus intimes lui avaient déjà adressé un message sur l’événement, selon des informations recueillies plus tard.

La fin de Karabane

Quand il eut reçu le message l’informant de la destruction de son domaine par les feux du Ciel, Karabane en devint inconsolable ? Il piqua une crise qui nécessita son admission urgente dans une clinique spécialisée. Il délirait à longueur de temps. Comment une œuvre qu’il avait construite pour couronner son existence et donner un sens à sa vie, pouvait-elle être frappée de cette façon par les feux du Ciel ? Qu’en déduire ? Avait-il vraiment donné un sens à sa vie  qu’il menait de façon trop libre? Pourquoi la Colère du Ciel s’était-elle déclenchée contre un pauvre diable qui n’avait autre raison de vivre que de jouir de cette liberté qu’il avait cru sans limite, offerte par la nature ?

Des interrogations défilaient dans la tête de celui qui avait fini par  baisser la garde devant la Grandeur divine qu’il avait refusé d’admettre. Des larmes coulèrent de ses yeux assombris par la colère. Il les rouvrit pour jeter autour de lui un coup d’œil circulaire. Où sont-ils tous ces disciples qui l’accompagnaient dans ses illusions ? Son regard croisa celui de l’infirmier qui l’assistait. Il lui demanda d’approcher. «  Mon fils, dis-moi, Dieu existe-t-il vraiment ? » « Oui mon père, Il existe ! » « Alors, dis-lui de me pardonner ! » Ce furent les derniers mots de celui qui aura vécu dans l’ignorance pure. Il rendit l’âme.

Dix ans plus tard

Le temple de Karabane n’était plus qu’un vieux souvenir, une sorte de légende dont l’oralité s’était emparée, pour dissuader les infidèles et prévenir d’autres cas similaires dans la petite localité. Le chef spirituel du Phallus n’avait pas laissé d’héritiers. Les autorités communales avaient déjà récupéré  les  lieux, mais ne savaient qu’en faire.

Des fanatiques estimaient le site du domaine entièrement maudit et hanté par les esprits maléfiques. D’ailleurs, il n’en restait que des décombres calcinés sur lesquels poussaient des herbes  que même les chèvres ne broutaient pas. Un jour, pourtant, la petite population fut  étonnée de voir des travaux d’aménagement s’effectuer sur les lieux. Les autorités de la commune avaient vendu le terrain à un riche opérateur économique.

Les travaux de nettoyage terminés, les ouvriers commencèrent de creuser les fondations d’un nouvel édifice. Une semaine plus tard, c’est la nouvelle du décès du nouveau propriétaire des lieux qui fut annoncée. Alors, les travaux s’arrêtèrent. La thèse, selon laquelle le site est hanté et maudit, défrayait la chronique, au point que les lieux n’eurent plus un autre acquéreur.

Qu’en n’était-il vraiment ? La question restera posée. Dieu avait-il donné satisfaction aux prières du Conseil des cultes ?

La superstition naît du mythe qui entoure les événements en Afrique. La vie controversée de Karabane et la destruction de son domaine sont de nature à susciter bien des interrogations sur certaines déviations mentales qui ont souvent conduit à des comportements difficiles à saisir. Karabane, aux derniers moments de sa vie, avait-il vraiment compris ses illusions?

Il serait difficile d’y répondre. L’homme est une dimension limitée. Karabane est de ces illuminés qui, dans la recherche d’un repère, ont cru pouvoir déborder le temps, pour s’offrir un autre monde, celui qui répondrait le mieux  à leurs illusions. Le monde de Karabane est celui qui ouvre à l’homme  un certain  bien-être que seule  la jouissance libre, fondée sur l’usage du vin, de la drogue et du sexe, pourrait procurer. Karabane fait de la vertu l’affaire  du cœur. Il en exclut le corps qui, selon sa conception, n’est fait que pour  jouir de tout ce qui lui procurerait  ce bien-être recherché et considéré comme fondamental dans l’équilibre de l’homme, en tant qu’Etre portant en lui le divin : l’esprit, et le satanique : la matière. « L’on ne cherche l’au-delà qu’avec le cœur, pas avec le corps destiné à pourrir et à retourner  poussière. Seul le cœur a la faculté de devenir et de rester  pur. La pureté du corps c’est la négation de sa nature.» avait confié Karabane, un jour,  à ses  disciples. Le chef spirituel du ‘’retour aux sources pures’’, sur son lit de mort, s’était-il vraiment repenti ?

Dans quel autre langage aurais-je pu parler à ma progéniture, si ce n’est dans celui du cru, dépouillé de pudeur, puisqu’il s’agit de l’impudique ?  L’apologie du vice ne fait-elle pas comprendre la folie de ceux qui en font un culte ? Evidemment, il est  plus difficile de supporter le côté roturier de mon langage que de voir  le mal dont il préserve. En écrivant ce roman dans un pays comme le nôtre où le tabou a droit de cité sur tout ce qui déchire le voile de la pudeur, l’on est difficilement compris. Or, il s’agit de sortir du roman ordinaire, du style courant et familier, pour mieux comprendre le langage nu de l’écrivain guinéen dans ses talents et ses aptitudes. Ce privilège,  je compte me l’offrir. Je n’ai pas d’excuses à faire, mais plutôt un appel à l’esprit de tolérance et surtout de discernement entre ce que je peins et ce que je combats, comme beaucoup d’autres l’auraient fait dans un langage tout autre.

 

Alpha Oumar Barry dit Thierno Dayèdio est un guinéen né à Bamako, République du Mali. Professeur de lettres, d’histoire et de géographie, il est également titulaire d’un master en sciences et techniques de l’Information, d’une maîtrise en lettres modernes et d’un diplôme supérieur en gestion d’entreprise, entre autres. Il a enseigné dans beaucoup d’écoles au Mali et en Guinée, notamment à Koffi Annan, Wolé Soyinka, Sacré cœur. Il fut directeur de publication du Groupe de presse L’indépendant, du journal « L’Informateur » en Guinée et du journal satirique  « La Flèche » au Mali.» Il fut également Chef d’Etablissement du Complexe scolaire « Mali Universel de faladié, » propriété de sa fille aînée Safi Barry.

Share.

Leave A Reply