Diplomatie sanitaire en Afrique : quand la Chine fait flèche de tout bois

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En mars 2020, alors qu’une mystérieuse pneumonie se propage dans le monde, l’Afrique fait l’objet de pires commentaires, venant notamment de médias occidentaux comme Le Monde.

De son côté, le quotidien régional français Télégramme évoque un désastre, les services Afrique des Ministères des Affaires étrangères de pays occidentaux prédisent un possible drame humain. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres craint des millions de morts en Afrique. S’il faut être encore prudent sur les chiffres et même la prospective, les titres de presse, miroirs d’un syndrome de stress post-traumatique, remplis de contes de fée, ont déjà fait leur bilan. Pourquoi ce traitement médiatique du style paternaliste ? Est-ce que tout simplement parce que l’Afrique est insuffisamment équipée pour faire face au virus ? Ou bien c’est dû à la pauvreté des populations qui ne peuvent être confinées ? Serait-ce une manière de préparer les esprits à des essais de vaccins contre le coronavirus sur le continent ? Il- s’agit là d’une analyse et non d’un éditorial à charge. L’objectif est de lever le lièvre sur la base de faits et laisser la liberté à chacun de tirer des conclusions-.

En effet, au fur et à mesure que le virus se propage, les pays se referment au grand mépris du multilatéralisme en souffrance, -fortement fragilisé depuis l’arrivée de Trump au pouvoir en janvier 2017-. L’absence de coordination et de réponse à la crise au niveau international en est d’ailleurs une illustration éloquente. -2020 sonne le glas d’un système et la survenance d’un nouvel ordre mondial conduit par l’Asie-. Là aussi, il faut être prudent. Tout peut basculer, puisque le dragon asiatique n’a aucune envie de faire le gendarme du monde, encore moins d’endosser la responsabilité de première puissance mondiale. Même s’il en a les moyens et la capacité. Les exercices de Vostok 2018, menés dans l’extrême-est de la Russie, nous ont permis de voir plus clair dans la puissance de feu et la capacité de déploiement de la Chinese Army.

Déjà condamnée avant d’être jugée, l’Afrique devait se préparer à remplir ses cimetières pendant que le virus fait moins de morts sur le continent par rapport aux autres.

Consciente de la défaillance du système sanitaire des pays sous-développés dont ceux d’Afrique, voyant le champ libre et surtout -soucieuse de renforcer son ancrage stratégique-, l’Empire du milieu lance en mars 2020, son arsenal diplomatique sanitaire en Afrique. La Chine promet de faire dons de matériels médicaux aux pays africains. C’est Jack Ma, fondateur du géant du e-commerce Alibaba et (il faut insister) -MEMBRE DU PARTI COMMUNISTE CHINOIS- qui a lancé l’opération par le biais de sa fondation et celle d’Alibaba.

Derrière ces dons, se cache une opération d’influence dans l’art de la guerre (un classique en stratégie militaire), Sun Tzu explique en chapitre six, que « le premier arrivé sur le champ de bataille pour y attendre l’ennemi est en forme pour le combat ; le second, qui doit se dépêcher, arrive épuisé. C’est ainsi que le guerrier habile impose sa volonté à l’ennemi sans permettre à celui-ci de lui infliger la sienne. Il peut pousser l’ennemi à s’approcher de son propre chef en lui concédant l’avantage, ou encore lui faire subir suffisamment de dégâts pour qu’il soit obligé de rester à distance. Si l’ennemi perd ses aises, il peut le harceler ; s’il a de la nourriture à profusion, il peut l’affamer ; s’il est bien campé sur ses positions, il peut le forcer à bouger. Apparaissez brusquement pour que l’ennemi soit forcé de se précipiter ; déplacez-vous rapidement en des lieux où l’on ne vous attend pas ». C’est exactement ce que fait la Chine en Afrique. Jusqu’en mars 2020, c’était chacun pour soi dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Pas une seule coopération internationale comme ce fut le cas de la lutte contre l’épidémie d’Ebola. Le champ était libre en Afrique et les pays occidentaux ne savaient pas avec quel pied danser. La Chine a mis son ambassadeur Jack Ma en avant et s’est complémentent effacée pour éviter de faire capoter la stratégie. Les dons ne concernaient pas un seul pays ni une seule région, mais toute l’Afrique.

Seulement une semaine après l’annonce sur Twitter des dons destinés aux Etats africains, les équipements médicaux ont été livrés à Addis-Abeba par un Boeing 777 d’Ethiopian Airlines.

Habituellement, -il faut organiser des Galas, mobiliser des entreprises, des milliardaires, des philanthropes, des institutions, des gouvernements, des ONG pour débloquer des enveloppes d’aides financières, de fournitures de médicaments et d’envois de médecins spécialisés. Là, en quelques jours, un seul pays se mobilise et vient en aide à l’Afrique-. C’est ni plus ni moins qu’une démonstration de puissance. Une nouvelle manière de faire de la coopération.

Il est vrai que derrière ces dons, se cache une opération d’influence, de soft power. Aucun officiel chinois n’a été mis en avant. Jack Ma n’a pas non plus beaucoup communiqué sur ces dons. Très vite, il s’est effacé et a laissé place au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, chargé notamment de veiller à la logistique de la redistribution des dons.

Ce n’est pas tout. Tout a été calculé. Le choix de l’Ethiopie ainsi que celui de la flotte d’Ethiopian Airlines comme partenaire logistique et centre de distribution pour l’Afrique par la Fondation Jack Ma est stratégique. L’Ethiopie et la Chine entretiennent de solides relations économiques et commerciales. La Chine veut d’ailleurs construire un hub technologique dans le pays. Il nous souviendra qu’elle y a construit le siège de « l’Union africaine », un oxymore qu’il faudra pour l’instant mettre entre guillemets. Il y a aussi une forte connexion entre le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens, au pouvoir depuis 1991, et le Parti communiste chinois. La compagnie Ethiopian Airlines est la première africaine dont la fondation remonterait à 1945. Elle- emploie depuis 2016 une trentaine de jeunes Chinois venus étoffer l’équipage de ses vols hebdomadaires vers la Chine-. Bref, les explications sont légion pour démontrer ces choix.
Au-delà des dons, la Chine ne s’est pas limitée à l’envoi d’équipements médicaux pour 54 nations africaines, elle s’est aussi proposée de former les médecins du continent. Ce qui rend son « offre » plus complète et compétitive.

Au demeurant, les dons des Fondations Jack Ma et Alibaba ont été très favorablement accueillis par les populations africaines. Avec un grand renfort de communication, la Chine a imprimé sa marque. Tous les médias africains ont joué « le jeu ». Les articles de certains se basant sur un copie/coller des dépêches de l’agence de presse Xinhua, communément appelée « agence Chine nouvelle ». De toute manière, le coup de communication a été « réussie » et la Chine a volé à temps au secours de ses partenaires africains. Un adage africain dit : « C’est pendant les moments difficiles qu’on reconnait ses vrais amis ». La Chine est venue au bon moment. Elle a soigné son image. Même s’il faut être très prudent, puisque sa réputation en Afrique est pour l’heure très relative ; les contestations se font de plus en plus voir contre les entreprises chinoises et leur management sur le continent. L’importation de la main d’œuvre chinoise bon marché en Afrique n’est pas du goût des africains. C’est le véritable sujet de discorde, avec aussi, la condescendance de certains entrepreneurs chinois à l’égard de leurs employés africains.

Par ailleurs, sur un nombre important de cartons qui emballaient les dons d’équipements médicaux, nous avons remarqué cette phrase inscrite en rouge : « When people are determined, they can overcome anything » (Quand les gens sont déterminés, ils peuvent tout surmonter). Le message est clair. Le régime chinois est persuadé que l’Afrique d’aujourd’hui est à l’image de la Chine d’il y a 50 ans. Cela veut dire qu’elles doivent s’unir (La Chine et l’Afrique) pour combattre les pays occidentaux et se développer ensemble. Sur le continent, ce message passe pour l’instant très bien. Elle connait une grande résonnance jusque dans les sphères du pouvoir et des oppositions.

« L’amitié sino-africaine repose sur des bases très solides, grâce à des générations de dirigeants chinois et africains s’étant soutenu mutuellement, et ayant coopéré dans leurs combats contre l’impérialisme et le colonialisme pour les indépendances et les émancipations nationales dans les années 1950 et 1960 ». La phrase chétive, répétée en boucle par les diplomates chinois en Afrique.

Les bourdes dans la communication

Quand nous lisons les médias chinois, nous détectons quelques bourdes en matière de communication. La stratégie du Parti communiste chinois étant de ne pas s’afficher mais bien d’utiliser les fondations Jack Ma et Alibaba, les médias chinois eux, écrivent bien dans leurs titres : « Don de la Chine » au lieu de « Don de Jack Ma », « Don de la Fondation Jack Ma », etc. Ils mettent en avant la Chine et par ricochet le parti communiste chinois alors que c’est l’effet inverse qui est recherché.

Quand on est un observateur averti de stratégies de soft power déployés par les Etats, on se rend vite compte de l’incohérence dans le déploiement de la diplomatie sanitaire chinoise. Tout est mondialisé et globalisé. Sun Tzu disait : « N’utilisez jamais deux fois une tactique vous ayant assuré la victoire ; laissez les circonstances vous portez vers les méthodes les plus variées ». La Chine a manqué un peu de finesse.

En Europe, la Chine a envoyé des médecins et du matériel. Elle s’est lancée dans une opération d’assistance tous azimuts pour « essayer de changer son image négative à l’international, faire oublier qu’elle est le berceau de l’épidémie et apparaître en sauveur de l’humanité ». Peut-on lire dans la Echos. Subouest rapport : « La Chine s’est lancée dans une opération d’assistance sanitaire tous azimuts. Pont aérien de masques vers la France, de tests aux Philippines et au Pakistan, envoi d’experts médicaux à Téhéran et Milan, construction d’un laboratoire à Bagdad, don de 20 millions de dollars à l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ». La Chine démontre deux choses : Sa puissance et son empathie. Au fond, c’est une lutte d’influence. Elle veut aussi montrer, que ce que les Etats-Unis sont capables de faire, en venant notamment en aide aux pays éprouvés, la Chine peut faire de même et en mieux.

Des experts médicaux chinois arrivent avec du matériel médical offert par la Chine à la Serbie. Belgrade, 21 mars 2020. — ©
MARKO DJURICA/REUTERS

Mais la Chine s’est trop affichée. Nous avons vu des médecins chinois envoyés en Europe avec du matériel et des masques, accompagnés de plusieurs journalistes, dont les appareils photos et caméras ne se reposaient pas. C’était trop flagrant.

Etant donné qu’en Europe, les autorités chinoises se sont affichées, en Afrique, elles ont évité de le faire. Mais l’erreur était déjà commise. Derrière Jack Ma, se cache bien le Parti communiste chinois et ça, c’est un secret de polichinelle.

Les ressorts de la diplomatie publique chinoise en Afrique

Est-ce que seulement deux fondations peuvent venir en aide à l’ensemble des pays d’un continent tout en sponsorisant toute la logistique, comme ce fut le cas des dons d’équipements médicaux par les fondations Jack Ma et Alibaba en Afrique ? Si nous n’avons pas encore une idée précise des coûts de cette opération, force est de constater qu’elle est très coûteuse. Mais pourquoi la Chine a-t-elle mis en avant Jack Ma ?

Dans l’analyse portant sur le soft power chinois en Afrique, nous indiquions bien la réputation et l’aura de Jack Ma auprès des jeunes entrepreneurs africains. Ajouter à cela, son rôle dans le Parti communiste chinois dont il est l’ambassadeur en Afrique, mais et surtout la volonté affichée du géant du e-commerce mondial (concurrente directe d’Amazon) Alibaba, de faire de l’Afrique son nouveau terrain de développement.

En effet, le mastodonte a pour l’instant peu d’activité sur le continent et n’a aucune installation en propre. Mais cela ne va pas durer. Il- est à rappeler qu’en 2017, une centaine de jeunes entrepreneurs africains avaient été invités à Hangzhou, siège d’Alibaba, pour y être formés aux technologies du Cloud System et de l’e-commerce-. Ainsi, Jack Ma veut aider l’Afrique à réaliser son leap frog technologique et -identifier in fine les leaders et décideurs de demain-. Jack Ma cherche à apprendre sur l’Afrique pour lancer son offensive dans quelques années. Il n’est pas pressé. Au contraire, il prépare bien le terrain. Et jusqu’ici, il fait bonne presse. La proximité de l’homme le plus riche de chine avec les jeunes entrepreneurs africains est très assumée. La photo de couverture Twitter du milliardaire chinois en fait foi.

L’Afrique est au centre de la politique d’internationalisation d’Alibaba. Qu’on ne s’étonne pas donc de sa mise en avant par la Chine. Comme Huawei a réussi à détrôner Appel notamment sur la 5G, Alibaba en fera de même contre ses concurrents. L’Afrique est bien le nouveau terrain de conquête et d’affrontement concurrentiel. La diplomatie sanitaire chinois sur le continent s’inscrit dans une double stratégie. D’un côté, nous avons le projet de « Belt and Road » (Les nouvelles routes de la soie, un ruban unique, liant la Méditerranée à la Chine, l’Orient à l’Occident) pour lequel Olivier Weber (2007) et Xi Jiping (2017), affirmaient respectivement :

« La Route de la soie, ce chemin initiatique et mercantile : la philosophie du rendez-vous, l’émergence d’un esprit vagabond. » ; « Laissez-nous poursuivre cette initiative. Nous apporterons un réel bénéfice à la fois au monde et à tous nos peuples ». Et de l’autre côté, nous observons -cette vaste stratégie de relation publique, consistant à influencer les masses-. Edward Bernays (1928), nous enseigne dans Propaganda (un classique des relations publiques),qu’à partir « du moment où l’on peut influencer des dirigeants – qu’ils en aient conscience ou non et qu’ils acceptent ou non de coopérer-, automatiquement on influence aussi le groupe qu’ils tiennent sous leur emprise ». Ici, le groupe désigne les populations et les dirigeants dont parle Bernays, sont dans notre cas, tous les décideurs et leaders africains, pas seulement les Chefs d’Etats. Voilà quelques ressorts de la diplomatie publique chinoise en Afrique.

Petit point d’attention. La Chine n’est pas seule ni la première à mettre en scène ses entreprises dans le cadre de la diplomatie industrielle et spécialement en ces temps de coronavirus. La France avait envoyé en février dernier, un fret médical de 17 tonnes comprend notamment des combinaisons médicales de protection, des masques, des gants et des produits désinfectants, à destination des structures hospitalières de Wuhan et de la province du Hubei. C’est le groupe LVMH qui avait financé en grade partie ce « fret de solidarité ». Faut-il le souligner, quand nous comparons les deux modes de communication : diplomatie sanitaire chinoise en Afrique vs diplomatie française en Chine, nous nous apercevons que le groupe LVMH est moins mis en avant par rapport à celui d’Alibaba. Et comme c’est la tradition dans l’Union européenne, on glisse toujours cette phrase : « avec le soutien de l’Union européenne », même si cette dernière n’a apporté aucun soutien, du moins direct, mais a juste donné son accord pour associer son image de marque.

La crise du coronavirus révèle des réalités jusqu’ici cachées du commun des mortels, notamment le fait que -les tissus se nécrosent entre l’Occident et l’Afrique- ; en filigrane, la Chine a presque gagné la bataille. Faisons une expérience de pensée. Imaginons un seul instant que les pays Occidentaux aient suffisamment investi en Afrique et se soient vraiment activés pour accompagner de manière significative le développement du contient, avec des actes très concrets. Imaginons à l’inverse que la Chine n’ait pas investi sur le continent comme c’est le cas actuellement (avec là aussi quelques précautions à prendre pour garder la souveraineté des Etats), est-ce qu’on aurait compris la perte du monopole occidentale de la puissance ?

Précisément, est-ce qu’on aurait su que la bataille engagée en Afrique est presque remportée par la Chine, même si les pays occidentaux ont encore un avantage stratégique, à condition
qu’ils repensent leur coopération et leur logiciel de pensée ? A ce tire, Pascal Boniface (Directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques), a appelé les pays occidentaux à apprendre à faire preuve de modestie. Il explique que la crise sanitaire inédite que nous traversons actuellement montre la perte du monopole occidentale de la puissance. « Au cours des cinq derniers siècles, les Occidentaux ont pu fixer les règles, l’agenda international et ont été habitués à ce que le reste du monde leur obéisse et suive leurs points de vue » écrit-il. Poursuivant, il interpelle : « Nous devons donc accepter que les « non Occidentaux » n’aient pas le même point de vue que nous et que ce n’est pas forcément parce qu’ils sont moins vertueux, moins intelligents ou moins développés. C’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas la même ADN stratégique que nous. Ils ont développé des points de vue différents et le fait de prendre en compte le leur ne veut pas dire forcément céder ou renoncer à ce que nous sommes. Ce serait au contraire la preuve d’une volonté d’avancer vers des solutions communes et non plus d’imposer aux autres nos propres solutions. ». En effet, les pays occidentaux commencent sérieusement à se planter en Afrique, si ce n’est d’ailleurs pas le cas.

Par exemple, le sentiment antisystème, qu’on se plait à appeler politiquement « sentiment antifrançais » (ce qui est faux, parce que de notre point de vue, les français sont les plus aimés en Afrique francophone et cela est tout à fait vérifiable), a fait l’objet d’une mauvaise lecture du côté des pouvoirs publics français. La communication de Macron sur le sujet était très mal réfléchie. De même, la manière d’aborder cette question tendancieuse doit nécessairement être revue. Retenons que pour contrer la Chine en Afrique, l’Occident doit assurément revoir sa fenêtre d’Overton.
Chine-Afrique, un attachement intemporel ? Rendez-vous en 2030 pour le savoir.

Kossa CAMARA
Etudiant en Master 2 Intelligence stratégique, Analyse des Risques et Territoires à l’Université Gustave Eiffel

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